CONTE D’ARTS MARTIAUX : LE POURFENDEUR D’AIR ET LA MAITRISE DE L’ART

Extrait de mon livre « Ki, Le Chemin de l’Éveil » 2018 (section I.3 [pages 37 à 41]). Ma propre histoire romancée.


LE POURFENDEUR D’AIR ET LA MAITRISE DE L’ART

Rojii était forgeron de métier et artiste. Pour la plus grande joie des seigneurs de guerre, il fabriquait des Katanas [1] de grande beauté dont les courbes féminines alliaient esthétique, douceur et force. La dernière de ses œuvres portait le nom de « Sol-couvert-de-rosée ». Dans ses temps libres, Rojii se consacrait au maniement du sabre.

Bien qu’il n’eût pas le droit de porter un sabre, privilège accordé uniquement à la caste des Samouraïs et aux maitres de thé, on lui accorda néanmoins le loisir de s’entrainer avec un Boken, un sabre en bois simulant le poids et la portée d’un sabre réel.

Il n’eut pas de formation très élaborée dans ce domaine, mais il rencontra un maitre qui lui apprit deux techniques à exécuter selon des règles très strictes. Une faveur de son mécène, le Shogounat,[2] lui avait été accordée.

Ainsi, année après année, sans se lasser, il s’exerça en observant les règles d’exécution apprises de Maitre Chan qu’il n’eût la chance de rencontrer que deux fois dans sa vie, à son grand regret. 

Les pratiques débutaient tout d’abord par un exercice de concentration visant à apaiser son esprit, tel que cela le requérait dans ses activités de création artistique. L’une de ces règles se résumait à tenir le sabre avec grande légèreté.

La première technique consistait à soulever le Boken au-dessus de la tête, à abaisser le centre de gravité en faisant suivre le sabre comme si on le laissait tomber parallèlement au sol en utilisant le poids de celui-ci. Il s’agit du coup classique porté vers l’avant afin de pourfendre un attaquant.

Pourfendeur d'air

 La deuxième technique consistait à tenir le sabre d’une main et à le placer sur le bras opposé, à la verticale, puis de bouger le centre de gravité vers l’avant en portant un coup à l’horizontale en tournoyant. Cette frappe est destinée à couper la tête d’un quelconque brigand se tenant debout devant soi.

Durant plusieurs années, Rojii pourfendit l’air en s’appliquant à respecter les règles. Ces moments de joie et d’allégresse le rendaient heureux. Il vivait l’instant présent entièrement et le temps qui s’écoulait lui semblait irréel.

Il s’aperçut que l’exercice devenait de plus en plus léger, et lui semblait-il que son cœur aussi. Il constata également que ses œuvres artistiques devenaient de plus en plus esthétiques, et que les seigneurs de guerre qui les acquéraient n’osaient qu’en tout dernier recours entacher de sang ces objets précieux. 

Après des milliers et des milliers de coupes à pourfendre l’air, il lui vint un questionnement. Un jour qu’il s’exerçait, il se demanda ce qui se produirait si son Boken frappait quelque chose, un obstacle. Que ressentirai-je ? Quel effroi ce serait si je n’avais pas respecté les règles du maitre !

Se tenant à l’extérieur près de son atelier, il décida de placer une petite poutre sur deux montants, à l’horizontale, à hauteur de poitrine d’homme. Il prit position, éleva le Boken et faisant fi mentalement de l’obstacle, il abaissa le sabre de bois.

À son grand étonnement, la poutre avait été brisée en deux comme si un géant l’avait écrasée de ses mains puissantes. C’était étonnant, mais il se dit alors qu’il devait frapper un obstacle qui résisterait au Boken, car il n’avait rien ressenti.

Non loin de là, dans un petit boisé, il aperçut un petit arbre feuillu balloté par le vent dont le tronc dénudé était d’un diamètre de près de deux fois la taille de la poignée de son Boken. Il s’en approcha et il lui fit subir la deuxième technique qu’il avait pratiquée si longtemps, celle censée couper la tête d’un attaquant.

Sur l’impact, il vit l’arbre éclater sur le passage du Boken qui le traversa de part en part, puis la partie supérieure de l’arbre tomba bêtement. « Incroyable !» se dit-il. « Un Boken ne coupe pas et pourtant il accomplit l’œuvre qu’il est censé représenter ! »

Toutefois, il n’avait, encore une fois, rien ressenti ! Alors, d’un pas décidé, il se dirigea vers un autre arbre dont le tronc était de la taille d’un homme. Il refit la même technique.

Encore une fois, il ne ressentit rien. Cependant, sous l’impact du déploiement d’une force inouïe, il vit son Boken suivre le contour exact du tronc pour ressortir dans la position qu’il aurait occupé s’il n’avait pas rencontré l’obstacle : l’arbre était demeuré intact ! Puis, il regarda le Boken attentivement et ne décela aucune entaille ou marque quelconque.

La magie n’était pas dans le Boken, mais bien dans les enseignements justes de Maitre Chan et dans la pratique qu’il a en avait fait.

Cette expérience le marqua. Sachant maintenant ce qu’on pouvait faire seulement avec un Boken, il trouvait dorénavant bien inutile d’aiguiser les Katanas qu’il fabriquait. Il comprit aussi que le maitre lui avait enseigné la juste pratique. Il n’osa pas envisager d’avoir pratiqué, tout ce temps, une mauvaise technique, car tous les autres aspects de sa vie en avaient été constamment enrichis.

Rojii devait livrer le Katana baptisé « Sol-couvert-de-rosée » à son mécène. Il se mit en route pour entreprendre un voyage de quatre jours.

Alors qu’il arrivait au marché d’une petite ville sur le chemin de la ville d’Edo, il sentit une présence derrière lui.

En se retournant, il vit Maitre Chan, qui des années plus tard et du haut de sa monture, le reconnut ! Rojii, rempli de joie, se prosterna immédiatement en remerciant le Bushi [3] de lui avoir enseigné les deux techniques.

Maitre Chan mit pied à terre, le salua, et les deux hommes convinrent de discuter dans un salon de thé à proximité.

Rojii lui raconta ses expériences. Tout en admirant « Sol-couvert-de-rosée », Maitre Chan, affichant un large sourire, lui dit :

 –  Rojii, tu n’as pas à me remercier. Je t’ai certes enseigné ces deux techniques simples que toi seul as su mettre en pratique. C’est toi uniquement qui as fait le travail par ta volonté et ton Kokoro.[4] Tu as maintenant en toi la Voie et c’est moi qui doit te remercier.

 –  Mais, que voulez-vous dire Maitre ?

 –  Tu crois ne connaitre que deux techniques alors que tu maitrises maintenant le Grand Art ! En réalité, tu maitrises maintenant une infinité de techniques, car tu as révélé la connaissance enfouie au fond de toi.

     Ton maitre ce n’est pas moi, c’est l’Univers. Je ne t’ai montré que le chemin que tu as choisi librement de prendre. Cela m’honore profondément que nous ayons maintenant le même maitre. Cela signifie que toi et moi ne faisons plus qu’un, dorénavant.

Sur ces mots, Rojii sentit une chaleur l’envahir, une lumière dorée et étrange le traversa et il se savait heureux. Le Satori l’avait rejoint.

Après le départ de Maitre Chan, un Samouraï interpela Rojii. Il avait écouté attentivement la conversation des deux hommes au salon de thé, à leur insu.

Ce qui avait piqué la curiosité du Samouraï et celle de son élève l’accompagnant c’était le récit de Rojii coupant un arbre vert avec un Boken. Il lui dit :

 – Mon élève est d’avis que cette histoire est sans doute exagérée. Vous serait-il possible de démontrer votre prétention ?

Et Rojii de répondre :

 – Votre élève exprime sans doute ce que vous lui avez enseigné. Je lui pardonne sans prétention son arrogance, et donc la vôtre.

Devant cette déclaration le Samouraï devint rouge de colère et songea à pourfendre Rojii sur-le-champ. Puis, telle une illumination à rebours, il devint triste en constatant soudainement sa propre détresse intérieure. Il ne pouvait plus se résoudre à attaquer Rojii qui avait atteint son honneur mal placé, et qui se tenait paisiblement et rayonnant devant lui.

En fait, le Samouraï ne décelait aucune faille dans la concentration de Rojii, c’est-à-dire que ce dernier n’offrait aucune ouverture qui l’exposerait à une attaque soudaine.

Et Rojii se prit à dire :

 – Je reconnais n’avoir aucun mérite puisque durant des années j’ai pratiqué sans relâche. Il est donc normal que je récolte les fruits que j’ai cultivés. Quels genres de fruits allez-vous bientôt récolter ? Regardez à l’intérieur de vous et vous le saurez !

     Dans des moments contemplatifs, des oiseaux se posent sur ma tête et mes épaules. Même lorsque je chasse, la faune environnante ne s’enfuit pas parce qu’elle ressent en moi l’harmonie avec la nature. Il m’est aussi arrivé de commander au ciel et aux nuages par nécessité. Je puise à la source de vie l’énergie pour aider les autres à recouvrer la santé. Je pressens les dangers bien avant que mes sens physiques ne puissent les repérer, et je laisse mon intuition me guider sur des chemins sûrs.

     Il n’y a pas démonstration qui puisse amener en vous cette connaissance. Vous seul pouvez y accéder, dans le plus grand secret, sans tambour ni trompette. Ne cherchez pas dans les autres ou dans l’illusion du monde ce qui se trouve en vous. Empruntez la Voie de l’Univers et j’en serai honoré, car nous aurons ainsi le même maitre.

Sur ces mots, le Samouraï et son élève se prosternèrent par respect pour Rojii, maintenant un maitre à leurs yeux.

Le Samouraï remercia humblement Rojii d’avoir daigné lui montrer le chemin de la Voie de l’harmonie. Non pas que Rojii en eut besoin, mais en échange de cette révélation, le Samouraï proposa de l’escorter et de le protéger jusqu’à sa destination. Rojii accepta avec joie l’amitié du Samouraï et de son élève.

Shihan Jean-Rock Fortin


[1] Katana, Daito, O’dachi ou Nihonto : (Jap.) Emblème de la caste des Samouraïs, le Katana est un sabre, soit une arme blanche courbe à un seul tranchant, dont la lame mesure plus de 60 cm. L’ensemble Katana et sa version plus courte que l’on appelle Wakizashi (dont la lame mesure entre 30 et 60 cm) constituent le Daisho.

Le Katana est une arme de taille (dont on utilise le tranchant) et d’estoc (dont on utilise la pointe). Sa production dépasse celle du Tachi pendant l’époque de Muromachi (après 1392). Le Katana se porte glissé dans l’Obi (la ceinture) tranchant vers le haut, à la différence du Tachi, le sabre de cavalerie.

Bien que le Katana ait une taille de lame supérieure à 2 Shakus (2 fois 30,2 cm), soit plus de 60 cm, cette longueur peut varier selon les périodes et techniques de guerre. Il se manie généralement à deux mains, exception faite de la technique à deux sabres de Musashi Miyamoto, et des techniques impliquant l’utilisation du fourreau.

La poignée (Tsuka) commence par une garde (Tsuba) qui protège la main et se termine par une extrémité utilisée pour frapper (Tsuka-gashira ou Kashira). Le poids d’un Katana peut varier de 800 grammes à 1300 grammes (1.3 kg). Suivant la tradition, les lames de valeur portent leur propre nom.

Voici l’authentique Katana « Sol-couvert-de-rosée »
Fabriqué entièrement à la main par Jean-Rock Fortin, Coutelier d’art

Conte : LE POURFENDEUR D’AIR ET LA MAITRISE DE L’ART

 

[2] Shogounat : Gouvernement militaire du Japon de l’époque des Samouraïs.

[3] Bushi : Mot japonais signifiant littéralement « guerrier gentilhomme ». Le Bushi appartient à une classe supérieure de guerriers.

[4] Kokoro : (Jap.) Aussi Shin. Xin en Chinois. Cœur, esprit, l’essence de l’homme. Concept associé au courage. L’expression du Kokoro (esprit), le contrôle de l’égo et des pulsions, réfère à la première étape fondamentale de toute progression dans les arts martiaux.


Qui est Rojii ? : Il s’agit d’un personnage fictif de plusieurs contes de ce livre (qui sont néanmoins tirés d’expériences vécues). Ce nom étrange a été inspiré du mot japonais Roji signifiant « sol couvert de rosée », qui désigne plus précisément le jardin épuré qui mène à une petite maison tout aussi dépouillée (Chashitsu) dédiée à la cérémonie du thé japonais (Cha-no-yu).

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A propos Shihan Jean-Rock Fortin, M.A.

Globetrotteur par affaires et pour le plaisir, et Orientaliste, je suis instructeur d'arts martiaux (maitre-enseignant de Ki-Aïkido [Shihan] & Dim-Mak), Fondateur du Dojo du Nouveau Monde (2010), "Séancier" de Kiatsu, Métatronicien, Radiesthésiste, Coutelier d'art, Conférencier et Auteur du livre "Ki - Le Chemin de l'Éveil" (2018). Je suis également Consultant stratégique en évolution et prospérité des personnes et des organisations.

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